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Photo du rédacteurMiriama BONO

Tahe Drollet, la figure montante de l’art contemporain tahitien.

Le talent de Tahe DROLLET est indéniable. Ce jeune artiste tahitien nous offre son regard décalé, plein d’humour et de malice. En mélangeant des références à la fois polynésiennes et occidentales, il met en dialogue les cultures, ouvrant des perspectives narratives nouvelles.

Comme beaucoup de Polynésiens, Tahe a grandi entre deux mondes. Il raconte ainsi qu’enfant, la maison familiale était pleine d’objets polynésiens, dont il ne connaissait pas le sens ou l’origine, qui cohabitaient avec des références occidentales. Fan de dessins animés de sciences fictions, l’artiste a grandi dans un environnement multiculturel, entouré d’éléments culturels qui lui échappaient, et il s’est inventé un monde où toutes ces influences dialoguaient, lui offrant un vocabulaire riche, foisonnant, auquel il apporte une nouvelle cohérence. Avec Tahe, les cultures ne se confrontent plus, mais se mêlent, deviennent plus riches, plus bavardes, plus drôles et intrigantes. Loin d’être dans la perte de sens, ses œuvres sont bien au contraire une ode à la démultiplication du sens.  


Et après 10 ans d’une pratique riche et reconnue dans son île natale, Tahe commence (enfin) à être exposé hors de Tahiti, ce qui laisse présager de futures créations passionnantes. L’artiste a ainsi été invité en juin 2024 à participer au SaVĀge K’lub de la Maori Rosanna Raymond à la National Art Gallery de Canberra, en marge de l’ouverture de l’exposition Gauguins World, Tōna Iho, Tōna Ao. L’œuvre qu’il a présentée au sein du SaVĀge Klub, Riding the Settler, est représentative de sa pratique. Un tiki marquisen y trône sur la tête de Bougainville, dont le corps est matérialisé par un umete (plat) d’inspiration polynésienne. C’est bien évidemment la tête de Bougainville qui interpelle et qui appelle une explication de l’artiste.



« Lorsque l’on m’a proposé de réagir à l’œuvre de Paul Gauguin, je dois dire que je n’étais pas très motivé au départ, du fait de sa réputation. » J’ai ensuite commencé à faire des recherches sur le sujet, et cela m’a amené au journal de Bougainville, qui y raconte son arrivée à Tahiti, qu’il nomme la nouvelle Cythère. Bougainville y relate qu’une jeune fille monte à bord et qu’elle aurait essayé de le séduire. Il se vante par la suite que la jeune fille était vierge, car il note la présence de sang… Ce détail m’a profondément dégouté, d’autant plus qu’il semble ensuite s’étonner que la jeune fille était confuse et désireuse de quitter le navire. J’ai été révolté par cette attitude et ces propos, et je me suis dit que Bougainville avait avec ses écrits ouvert la voix à ces abus envers les femmes polynésiennes. Je me suis dit que ce sont ses écrits qui ont conduit Gauguin à venir en Polynésie, à la recherche d’un idéal exotique, et que ses propos ont encouragé les hommes, et Gauguin, à se conduire ainsi.


Mon œuvre est une réaction, une fantaisie que je propose. Et si Bougainville n’était jamais venu ? Si un de nos dieux, en l’occurrence un tiki marquisien, l’avait guidé ailleurs, loin de nos îles. Le choix du tiki est lié aux Marquises, puisque Gauguin y a vécu, mais c’est aussi une figure récurrente dans mon travail. »




Riding the Settler a été réalisée en résine à Tahiti dans l’atelier de planches de surf de l’artiste. Pour la tête de Bougainville, Tahe a moulé la statue qui trône à Papeete, Place Bougainville, où le buste du navigateur trône face à la mer. Une escalade audacieuse pour Tahiti où ce genre de pratique est peu courante, mais qui est aussi très représentative du travail de Tahe Drollet. Car outre leur humour décalé et parfois grinçant, ses œuvres se distinguent par un remarquable sens du détail, d'une cohérence éloquente. Il est absolument évident en contemplant chacune de ses œuvres que la précision et la beauté de chaque élément renvoient à une intention.


Intention qui parfois nous échappe… Et cela fait bien évidemment partie du processus, les œuvres n’étant pas toujours livrées avec leur mode d’emploi. Si pour Riding the Settler Tahe nous a livré la genèse de l’œuvre, ce n’est généralement pas le cas. L’artiste est en effet peu loquace et se livre assez difficilement. Il produit par ailleurs avec parcimonie et essentiellement pour des expositions ou thématiques spécifiques comme en 2020 pour Fa’aiho ta’u tufa’a organisée à Te Fare Iamanaha, Musée de Tahiti et des Îles. Cette exposition, pour laquelle j’ai eu l’honneur d’être commissaire, proposait aux artistes polynésiens de réagir aux collections du musée, autour de  quatre thématiques, en notamment la figure du Tiki. Tahe y avait présenté Tiki new era, une interprétation d’un tiki contemporain, marqué par les symboles de notre société de consommation… « On peut imaginer qu'en l'an 3000 il sera découvert et sera vestige de notre époque ».





La thématique des vestiges est également récurrentes depuis 2020 dans les créations plus personnelles de l’artiste. The rise and the fall of an empire illustre parfaitement cette inspiration. Tahe l’a réalisé après avoir visité le musée de Tahiti et découvert un collier de chamade qui comprend un ornement marquisien, témoin d’échanges entre deux cultures pourtant très éloignées l’une de l’autre … «  Cette colonne aurait pu être découverte sur la plage et serait la preuve de la rencontre de notre culture polynésienne et de l’antiquité romaine. A partir de cet objet on peut imaginer des récits et des échanges de rencontres culturelles. C’est aussi une façon de représenter l’identité de notre société actuelle et sa mixité. ».


De même l’oeuvre Beneath the remains associe ces deux thématiques récurrentes, celle du vestige et du tiki , ici lové dans un buste de bouddha… «  Le tiki, était avant tout utilisé comme un réceptacle lors de cérémonies. Il est sacré mais aussi parfois craint … Dans mon entourage j’ai plutôt vu des statues de Bouddha dans les maisons que des tiki, alors que les deux figures sont mystiques et chargés d’énergies, de mana, et sont une représentation du monde invisible ».




Tahe est un artiste rare, dont on ne peut qu’espérer que sa pratique le porte vers un horizon plus étendu que la Polynésie française, tant son talent et son audace sont rafraichissants. Par ailleurs, le dialogue qu’il instaure entre des cultures a priori opposées est passionnant, et a même une portée universelle et totalement d’actualité. Alors qu’il est question de décoloniser les institutions muséales et de faire dialoguer les cultures, les propositions de Tahe sont une respiration nécessaire…


La parole doit désormais être dans le camp des autochtones ou natifs, selon les termes en usage dans le Pacifique, et c’est d’ailleurs fort intéressant que cette émergence dans la région de Tahe se soit réalisée pour le SaVĀge K’lub, les propositions de Rosanna Raymond et de son collectif étant en totale cohérence avec le travail de Tahe. Et c’est d’autant plus intéressant que cette installation du SaVĀge K’lub ait été commissionnée par la National Art Gallery pour l’exposition Gauguin’s World, Tōna Iho, Tōna Ao.  Ce contexte peut appeler plusieurs réactions controversées, et c’est d’ailleurs certainement ce qui explique l’hésitation de Tahe à participer à cet événement, mais au vu du contexte global du Pacifique et de la nécessité de diversifier les perceptions, l’artiste a sans aucun doute une opportunité à saisir pour apporter sa voie dans la région.






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